Capsule littéraire de Jérémie Gagnon (manga)
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9 mai 2016Browne, Anthony. King Kong. Paris: Kaléidoscope, 1994, 96 p.
Serait-ce possible d’imaginer un duo plus approprié? Anthony Browne, reconnu pour ses nombreux personnages simiesques, et King Kong, devenu un classique du cinéma des années 1930, dont le synopsis repose sur les aventures d’une équipe de tournage se rendant sur une île à la rencontre d’un gorille gigantesque, lui livrant un combat et le ramenant à New York.
Pour son album, Browne s’est basé sur le roman d’Edgar Wallace et sur le film des réalisateurs Ernest Schoedsack et Merian C. Cooper, sorti en salle en 1933. Ce sont les références à ce dernier qui prévalent dans l’album. L’auteur-illustrateur, par un travail de maître, recrée certaines scènes choisies du film. Angles de vue, plans et décors sont repris de manière quasi exacte. Toutefois, Browne s’est accordé quelques libertés, notamment dans la représentation du personnage d’Ann Darrow. En effet, dans l’album elle épouse les traits de Marilyn Monroe car « non seulement Marilyn Monroe avait une beauté hors du temps, mais le sort que lui réserva Hollywood fait écho à celui de King Kong » (Anthony Browne, Mon métier, mon œuvre…, Kaléidoscope, 2011, p. 94). D’ailleurs, les plans représentant le personnage dans sa cabine et s’admirant ont été ajoutés, donnant plus de poids à la transformation d’Ann en vedette de cinéma. Une autre liberté de l’auteur-illustrateur réside dans la scène où le réalisateur Carl Deham rencontre Ann Darrow dans un diner. Puisqu’Anthony Browne aime bien s’amuser à semer des indices à caractère prémonitoire, il a inséré un visage de gorille dans la boulette du hamburger, une main poilue sortant d’un manteau et une affiche du cirque Ringling brothers and Barnum & Bailey illustrant un gorille géant, une femme dans la main. Bien que non authentique, cette affiche représente bien l’époque, respectant le graphisme et l’esprit des cirques et autres foires ambulantes peuplées de « curiosités ».
Pour exploiter cette œuvre riche en classe, les enseignants du secondaire peuvent procéder à une lecture-feuilleton en découpant le récit en « épisodes ».
- Épisode 1 : la rencontre entre Deham et Darrow – l’aperçu de l’île du Crâne à l’horizon (p.11-26)
- Épisode 2 : le débarquement de l’équipe sur l’île – l’enlèvement d’Ann par Kong (p.26-41)
- Épisode 3 : le départ de l’équipe pour sauver Ann – la cachette d’Ann dans la grotte (p.42-55)
- Épisode 4 : le combat de Kong avec un serpent géant – la capture de Kong par l’équipe (p.56-69)
- Épisode 5 : l’exhibition de Kong à New York – la scène finale (p.70-92)
À chaque « épisode », l’enseignant guide les élèves dans leur compréhension, leur interprétation, leur appréciation ainsi que leur prédiction quant à la suite du récit.
Il serait aussi possible, à la suite de la lecture d’un « épisode », de regarder un extrait du film original afin de comparer l’album de Browne au film de 1933, sur le plan des dialogues, de la narration, du découpage, etc. Il est à noter que l’écoute du film en entier serait une expérience très enrichissante pour les élèves, leur permettant d’établir des liens entre les œuvres lues et vues, tout en accédant à un repère culturel cinématographique important. Si au départ l’âge de l’œuvre de plus de 80 ans se fera peut-être sentir (il est à prévoir que les élèves rigolent lorsque Kong et les dinosaures se mettent de la partie), une fois l’hilarité passée, ils découvriront l’ingéniosité des pionniers du cinéma et la pérennité de certains thèmes, universels. À la suite du visionnement, il serait pertinent de demander aux élèves quel arrêt sur image ils auraient choisi s’ils avaient eu à faire le même travail narratif que Browne et de justifier leur choix. Puisqu’un film se déroule à une vitesse de 24 images⁄seconde, il y avait une multitude d’autres possibilités!
Une autre piste pourrait être exploitée, celle des cirques et des foires où étaient exhibées des « curiosités ». En effet, certains promoteurs du début du 20e siècle, misant sur le voyeurisme des gens, proposaient des spectacles regorgeant de personnages atypiques où se côtoyaient femmes à barbe, quintuplées identiques, fakirs, charmeurs de serpents et autres géants. Ces phénomènes de foire étaient exposés en même temps que des bêtes sauvages et exotiques. Pour enrichir cette piste, la lecture des albums Le pompier de Liliputia et Jesus Betz, tous deux du duo de créateurs composé de Fred Bernard et François Roca, est tout à fait appropriée. Le premier met en scène des pompiers nains d’un parc d’attractions de Coney Island et le second présente la vie mouvementée d’un homme-tronc. Pour les plus audacieux qui enseignent à des élèves ayant une grande maturité, un parallèle avec l’époque du colonialisme européen, notamment l’Exposition coloniale de Paris de 1931, serait aussi possible à l’aide la bande dessinée Cannibale, d’Emmanuel Reuzé, d’après un roman de Didier Daeninckx. Ces œuvres littéraires mettent en scène une histoire vraie où des Kanaks sont enfermés dans des cages sous l’appellation d’« Hommes anthropophages de la Nouvelle-Calédonie ». Dans tous les cas, les enseignants pourraient amener les élèves à relever la manière dont les différents personnages vivent leur condition d’étrangeté et les sentiments qui les habitent face à ceux qui les exploitent.
Enfin, une recherche sur le contexte historique et ce type d’évènements rehausserait la compréhension de l’époque à laquelle King Kong a été créé et le désir inconditionnel de Carl Deham à vouloir ramener avec lui le gorille géant pour des fins de divertissement, en le présentant au public comme étant la « 8e merveille du monde ». Finalement, si certains élèves veulent explorer davantage l’univers du cirque du début du 20e siècle, le roman L’enfant du cirque de Camilla Lagerqvist, qui présente le quotidien d’une troupe de saltimbanques, semble tout indiqué.
Rachel DeRoy-Ringuette
Collaboratrice au site Livres ouverts, MEES