
Capsules littéraires – Jeannette la crevette
14 décembre 2021
Capsule littéraire: L’amour fou : contes et légendes
7 mars 2022Floc’h, Arnaud. (2019). Emmett Till. Derniers jours d’une courte vie. Sarbacane, 2019. 83 pages.
Public : 13 ans et plus.
Février. Mois de l’histoire des Noirs. C’est en 1976 que le Mois de l’histoire des Noirs est officiellement reconnu par le gouvernement américain. Le président Gerald Ford appelle les Américains à « saisir l’opportunité d’honorer les réussites trop souvent ignorées des Noirs américains dans tous les domaines à travers notre histoire ».
Quoique les écrits, les paroles et les actions purent témoigner de la réussite des Noirs américains, certains durent payer tragiquement de leur vie pour ébranler les citoyens du pays, voire du monde entier. Le plus abominable des sacrifices fut celui d’Emmett Till. Son assassinat sera la pierre angulaire de la lutte pour les droits civiques des Noirs.
Résumé :
Fin août 1955, Emmett rend visite à son grand-oncle Moïse Wright à Money (Mississippi). Bien averti par sa maman, ce jeune ado de 14 ans doit se rappeler en tout temps qu’il doit surveiller scrupuleusement sa conduite devant les Blancs. Les Lois Jim Crow sont simples mais lourdes de conséquences : séparés mais égaux.[1]
Lors d’une courte escapade, Emmett et ses amis se rendent à l’épicerie Bryant pour acheter des bonbons. Que s’est-il passé à l’intérieur de l’épicerie? Certains prétendent que Carolyn Bryant aurait été sifflée par ce p’tit negro. D’autres suggèrent qu’il aurait eu le sacrilège de l’interpeller avec un « Darling ».
Apprenant l’outrage commis à son épouse, Roy et son demi-frère, J.W. Milam, surgissent chez Moïse et kidnappent l’enfant afin de lui donner une bonne leçon.
Or, Emmett ne retiendra rien de cette leçon. Ligoté avec du fil barbelé, il sera torturé, énucléé, émasculé et abattu d’une balle dans la tête. Son corps sera jeté dans la rivière Tallahatchie, un ventilateur de machine bien fixé à son cou.
Le drame de 1955 alterne avec une entrevue récente entre un journaliste musical et le bluesman Luther Wild Boy, témoin des événements alors qu’il était enfant.
Un procès? NOui. En moins d’une heure de délibérations, le jury composé de 12 hommes blancs (non en colère)
[2]
a déclaré Roy Bryant et J.W. Milan non coupables. En septembre de la même année, ce fut la fête au prétoire et à la sortie de la Cour. Tellement la joie, que les demi-frères vendirent leur histoire au Look Magazine l’année suivante. Pas de danger, nul ne peut être accusé deux fois du même crime.
Cette tragédie aurait pu glisser sous le tapis des archives. Mais parce que Mamie Till refusa que le cercueil de son fils soit fermé, elle exposa au monde entier jusqu’où la haine raciale peut conduire[3]
.
Le projet de cette BD ne pouvait être confié qu’au scénariste et illustrateur belge, Arnaud Floc’h. C’est un artiste habité par l’Afrique. Jusqu’à ses 16 ans et sa vie adulte, Arnaud y retourne toujours, affectionnant particulièrement le Mali. Lors d’une entrevue[4]
, il déclare que « plus que l’engagement, c’est la désobéissance » qui l’anime. Sa passion pour le blues et le soul se traduit dans ses scénarios (cf. Emmett T., Mojo Hand, Dieu n’habite pas La Havane, etc.). Il se considère de la vieille école : feutre noir, ligne pleine, planche Canson®. Sa typographie est unique puisque les bulles sont rédigées de sa main.
Cette bande dessinée prend tous ses droits dans une bibliothèque de niveau secondaire. En plus du récit très structuré, on retrouve un cahier de notes historiques et une bibliographie en fin d’ouvrage. Excellent et ravageur.
[1] Tiens, tiens! Ça me rappelle cette citation de La Ferme des animaux (1945) de George Orwell : « tous les [êtres] sont égaux, mais il y a des [êtres] plus égaux que d’autres ».
[2] 2. « Douze hommes en colère » (1957) : film américain réalisé par Sidney Lumet.
[3] 3. Ce n’est qu’en 2020 qu’un projet de loi, L’Emmett Till Antilynching Act, a été adopté afin que les lynchages soient déclarés comme un crime de haine fédéral.
[4] 4. BERDUCAT, Stéphane. Interview avec Arnaud Floc’h, Châteauneuf-sur-Loire (France), 2021.